12.6.07

Chapitre III

intelligent design ?

Au coeur des champs de superconscience


III

Plus frêles mais plus vivaces



Le tilleul est bon. Et on entend toujours au loin le mugissement du vent et des vagues qui se confondent en un souffle continu.

On pourrait croire que les chapitres qui précèdent sont le bilan désenchanté d’un témoin atteint par la dépression ambiante.

En réalité ce n’est qu’une facette, que l’aspect le moins satisfaisant de notre expérience.

Par bien des aspects essentiels le monde et les hommes sont plus avancés aujourd’hui qu’il y a quelques décennies à peine.

Aux avants postes, il y a la science et la technologie. Et je ne ferai pas l’affront au lecteur d’énumérer les domaines où la vie est améliorée, plus confortable, grâce à leurs innovations. Car chacun le constate aussi.

Certes, le nombre des humains sur leur planète, en augmentant révèle les contradictions de leur projet, voire sa finitude, ses limites et l’éventualité d’un terme à sa croissance physique.

Mais cette humanité qui fonce vers les dix milliards et que nous avons connue à deux, est aussi une collectivité plus maillée, plus riche de ses connexions plus nombreuses.

Chaque être connecté au réseau intelligent de la planète, un peu comme les neurones d’une intelligence partagée de plus en plus grande, fait qu’inexorablement la conscience progresse et augmente.

Le prix, outre l’épuisement de la terre, est que nous nous ressemblons aussi de plus en plus, comme autant de cellules moins différenciées d’un même vaste corps conscient, d’une unique conscience.

En cela oui, la machine a pris beaucoup de place. En cela oui, avec Internet, Google, son Web sémantique, et les réseaux d’ordinateurs nous sommes déjà reliés dans un vaste champ de conscience cybernétique.

Mais le progrès collectif revient aussi vers chacun, ne serait-ce que par exemple grâce à ces cybercafés qu’on trouve aujourd’hui même dans les contrées les plus déshéritées.

Je ne dis pas que la misère et la pauvreté ne seraient pas préoccupantes. Juste que tout n’est pas sombre.

De plus en plus nous formons un monde soudé. Nous n’ignorons plus grand-chose de la vie et des malheurs des autres au bout du monde.

Imperceptiblement nous devenons de plus en plus semblables.

L’unité de ce monde pluriel apparaît, inexorable, au prix d’une perte des singularités de ses êtres.

Ce que nous avons perdu d’un côté, nous est comme rendu de l’autre. A l’affadissement des esprits répond la vitalité des technologies partagées.

Même aux « tristes tropiques » que déplorait l’ethnologue Lévi-Strauss se répand le confort pour des êtres de plus en plus nombreux.

Si nous fonçons vers le désastre, ce qui n’est pas absolument certain, au moins filons-nous de plus en plus vite et ensemble, comme un seul homme.

Modelés par la ville uniforme, par des modes de consommation de plus en plus semblables partout, par le marketing global et par sa télévision les citoyens de la Terre se ressemblent. Et qui se ressemble s’assemble. Ils peuvent commencer à envisager un projet commun à leur grande et nouvelle famille.

Faut-il regretter comme Lévi-Strauss la perte de la typicité et des couleurs locales ? Bien sûr, mais pas trop. L’émergence d’une humanité autrement plurielle, unie par son interconnexion, peut aussi nous réjouir et susciter sinon de nouveaux enthousiasmes du moins des perspectives encourageantes.

Tandis que je sirote le thé vert qui a succédé au tilleul dans ma tasse, le matin se lève. J’entends une voiture démarrer. Là-bas un coq chante. La vie continue. L’avenir n’a jamais paru aussi excitant qu’à l’heure où il faut découvrir de nouvelles sources d’énergie qui seront utiles à tout le monde.