8.1.07

Postface / Impression de lecture de Jean Even, romancier et voyageur

" Votre texte me laisse un peu perplexe. Votre attitude générale et votre langage sont résolument scientifiques. Vous ne ménagez pas les religions et surtout les intégrismes, par exemple le naïf littéralisme des créationnistes américains. Fort bien. Mais voici que l'irrationnel fait un retour en force in extremis, sous la forme des "mondes invisibles" ou "parallèles", des "champs de superconscience" ou de la "réalité augmentée", toutes hypothèses dont vous dites seulement qu'elles ne sont pas invraisemblables.

Je n'ai pas très bien compris le lien que vous faites entre les notions ci-dessus et l'"intelligent design". Je connais évidemment beaucoup moins bien que vous cette théorie. Le peu que j'en ai lu, ici et là, m'a probablement permis de connaître seulement ce que vous appelez des "caricatures créationnistes" de ce "dessein intelligent". Qu'il ne faille pas le confondre avec le vieux vitalisme et le finalisme d'autrefois, je veux bien le croire. Mais tout de même, je ne peux pas m'empêcher de trouver qu'entre le début et la fin de votre livre, vous faites ce que j'appellerai le grand écart. Je ne m'en étonne d'ailleurs pas tellement et, pour vous expliquer ce que je veux dire, je vous citerai deux ouvrages que vous connaissez d'ailleurs probablement.

Le premier est le célèbre livre de Jacques Monod, "Le hasard et la Nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne". Au dernier chapitre, je lis que "La science n'a pas conquis les âmes." Nos sociétés, dit l'auteur, acceptent volontiers les richesses et les pouvoirs (j'ajoute: "et les savoirs") qu'elle procure, "mais pas la rupture avec la tradition animiste". Le mal de l'âme moderne, selon Monod, c'est ce mensonge, et il ajoute : "L'homme moderne en veut à la science de l'avoir délivré de "valeurs" qui s'imposaient à lui."

Ma seconde référence est le livre magistral de Marcel Gauchet : "Le désenchantement du monde". Vous connaissez, j'espère, cette immense fresque historique qui raconte "la sortie de la religion", une sortie qui, dans nos sociétés occidentales, est, selon l'auteur, achevée. Mais la "sortie de la religion" ne signifie pas, dit-il, la "fin du religieux". Le livre se termine sur l'étude des raisons de cette survie et des formes qu'elle prend. Au-delà du "visible, multiple et divers" qu'étudie la science, subsiste la croyance (ou la nostalgie) d'"une unité et d'une continuité indifférenciées", qui n'impliquent aucune "foi" ni sacralité, et sont parfaitement compatibles avec l'athéisme. D'où le recours aux spiritualités asiatiques (Bouddhisme ou Taoïsme), "au vide ou au rien qu'elles évoquent, figures de l'illimité indifférencié".

Si je vous ai cité ces deux auteurs, c'est parce que ce qu'ils disent, à mon avis, vous concerne :

1°) Vous me semblez assez représentatif de cet "homme moderne" dont parle Jacques Monod, qui, au fond de lui, en veut à la science de l'avoir libéré de chaînes auxquelles finalement il tenait.

2°) Vous me paraissez aussi assez représentatif de ce retour du religieux (J.P.Sartre disait : du "théologique"), qui, selon Marcel Gauchet, suit la sortie de la religion. "



[Jean Even est auteur notamment de L’Histoire et l’Eternel, un esprit libre sous le bas-empire romain et d’Instantanés : http://l-histoire-et-l-eternel.blogspot.com/ http://jean-even-instantanes.blogspot.com/ ]