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Au coeur des champs de superconscience
XIV
Les passagers rêveurs
Temps variable. L’air est saturé de chaleur, tandis que des nuages s’amoncellent. On commence à distinguer dans la brise la fraîcheur annonciatrice de quelque averse orageuse.
Ma troisième tasse de thé est devant mon cahier. Bien infusé et ambré, ce nectar brûlant et délicieux me fait paraître fraîche la température ambiante.
Tandis que le souffle venu de la mer s’amplifie, comme porteur d’une fine bruine océane, je songe qu’il est temps d’évoquer ici une question délicate.
Chaque lecteur, chaque lectrice se sera sans doute fait la réflexion suivante :
« Si ces superconsciences existent, pourquoi ne se rendent-elles pas plus ‘visibles’ des hommes et ne se font-elles pas connaître d’eux ? »
Cette question - cette énigme - je me la suis posée. Voici les pistes que j’ai à vous proposer, à défaut d’une réponse.
Une première hypothèse est que cette vague impression de ma part relative à l’existence des champs de superconscience serait totalement infondée. Je me serais trompé.
Aucune réalité mystérieuse de ce type n’aurait jamais existé.
Il serait donc naturel qu’en dehors du cerveau embrumé de quelques fanatiques du « New Age », de quelques schizophrènes et de moi-même, personne n’ait jamais reçu le moindre signe d’existence de ces mondes, pour la seule et bonne raison qu’ils n’existeraient pas.
La deuxième possibilité est que les mondes de la superconscience existent et se manifestent déjà de multiples manières. Ils s’exposent de façons certes codifiées, simplifiées et particularisée dans toutes sortes de religions, de cultes et de traditions locales, ainsi que dans leurs sacerdoces.
De nombreux auteurs, même non religieux, en attestent aussi, chacun dans son domaine.
Les poètes et les artistes en sont familiers. Ils s’inspirent de ce commerce avec le monde subtil de la vie intérieure.
Le psychiatre Carl Gustav Jung a même fondé sa métapsychologie sur cette « évidence ». Selon lui le monde des « archétypes », « l’inconscient collectif », voire même le « super conscient » seraient des termes appropriés pour évoquer indirectement ces réalités.
Dans les laboratoires d’études sur le cerveau humain, la recherche par tomographie montrerait quant à elle la possibilité d’activité cérébrale synchronisée, d’ondes gamma. Des travaux d’observations et de mesures menés sur des moines bouddhistes auraient même été entrepris pour mettre en évidence la présence ou non d’autres formes de conscience particulièrement inspirées ou paisibles.
Mais personne n’en serait privé pour autant.
L’écrivain, on l’a vu avec l’exemple de marcel Proust, vivrait cette intimité au travers de son inspiration. Le médium, le guérisseur et le charlatan la chercheraient aussi pour donner des avis fondés sur cette précieuse connaissance.
Mais aussi les médecins, les enseignants, les mécaniciens, les ingénieurs, les mathématiciens, les coiffeurs et les plombiers, bref, tous les corps de métiers, ne pourraient se passer des ressources de la superconscience.
Depuis les plans de cette dernière, les talents trouveraient les moyens subtils d’exercer pleinement leur vocation.
On peut imaginer que les apprentissages les plus remarquables seraient permis par l’intercession de ces présences et de leur « technologie », tout aussi imperceptibles qu’attentives.
Immergés dans l’océan de la superconscience nous aurions donc fini par ne plus même y faire attention, pas ne plus le remarquer, par le prendre pour un dû, comme les poissons font sans doute peu de cas de l’eau dans laquelle ils nagent en permanence, n’imaginant pas qu’il sont au cœur d’un milieu aux propriétés remarquables.
La troisième éventualité est que les mondes intérieurs de la conscience évoluée seraient si différents du nôtre, qu’il serait sans réelle nécessité de vouloir les appréhender.
Nous n’aurions pas les facultés, pas les sens, pour ce faire, ni même l’utilité d’une connaissance, toute à la fois vaine et impossible.
La quatrième piste serait que si les humains s’intéressaient trop à ces réalités sub-liminaires de la vie intérieure, ils pourraient commettre toutes sortes d’erreurs dans leurs vies. Pour cette raison ces présences éviteraient de se manifester trop ostensiblement.
D’abord ils pourraient se laisser illusionner par des faussaires ou des plagiaires issus des niveaux ordinaires ou inférieurs de la conscience. Ces derniers se feraient passer pour les émissaires, les ambassadeurs, les messagers, voire pour les superconsciences elles-mêmes ! Et c’est ce commerce insupportable des gourous qui en bénéficierait pour le plus grand détriment de tous.
En outre les attentions trop passionnées, fascinées et primitives comme les nôtres se braqueraient sur ces mondes subtils. Elles pourraient, qui sait, déranger ces derniers, leur inspirer des « songes » qui tourneraient au « cauchemar » !
En bref, le regard insistant et rustique des hommes pourrait être intrusif dans ces délicates réalités, comme un éléphant dans un magasin de porcelaines.
Dans la rubrique des « bêtises » possibles qui résulteraient du commerce avec ces dimensions il y a aussi le risque pour les hommes de négliger leur vocation terrestre. Ils pourraient hélas se désintéresser de leur propre destinée, de l’avenir de leur planète, de leur travail, de leurs proches ou de leur famille.
Fascinés par ces réalités sublimes, nos contemporains auraient sans doute quelque difficulté à travailler aussi dur, à vivre à toute vitesse, à foncer sur les routes, à accepter des achats à crédit sur vingt ou trente années, à s’engager pour des durées semblables ou supérieures dans un mariage et l’éducation d’enfants.
Face au sacré qui se révèlerait, comme des papillons de nuit brûlés par une lampe, nos contemporains risqueraient de perdre les cadrages et les motivations qui font tourner la machinerie du monde d’aujourd’hui.
Ils travailleraient moins pour vivre mieux.
Ils ne s’embarrasseraient plus d’acquérir ce nouveau canapé si onéreux, cette cuisine intégrée bientôt démodée, ce 4x4 statutaire avec son pare buffles chromé sans grande utilité dans les rues de leur cité, à partir du moment où l’évidence toute intérieure de la sagesse et de la transcendance aurait été établie à leurs yeux.
Et puis peut-être y aurait-il des risques de dérapages plus graves.
De terrifiants Frankenstein en herbe voudraient-ils s’emparer de ce nouveau trésor révélé de la conscience, en priver les autres par quelque nouvelle drogue, le manipuler, le posséder, voire le commercialiser par abonnements mensuels ?
Pourrait-il y avoir des tentatives d’abuser de ces nouvelles possibilités ? Face à une humanité encore immature les champs de superconscience auraient sagement fait le choix de la discrétion…
La cinquième pensée qui vient pour tenter d’expliquer la curieuse absence de réflexion sur ces thèmes de la superconscience est la suivante. Tant dans les médias, dans les institutions et dans les firmes, tous ceux qui contrôlent peu ou prou aujourd’hui notre société humaine perdraient une bonne part de leur légitimité, de leurs prérogatives, de leur pouvoir et donc de leurs privilèges et de leur bel argent.
Si une sorte de hiérarchie nouvelle, et ses valeurs apparaissaient d’un coup, en mettant en évidence le continent insoupçonné d’une réalité efficiente de la superconscience, cela appellerait de nouvelles figures humaines d’autorité et de représentation.
Cela renouvellerait les élites. Cela transformerait l’exercice du pouvoir. Cela déplacerait les richesses…
Les casernes du savoir, les temples de la consommation, les quartiers généraux des états-majors du marketing perdraient de leur ancienne légitimité.
Des palais de la bourse aux palais présidentiels, toute la classe dirigeante devrait se remettre en cause, ou plutôt serait remise en cause par l’émergence de ces nouvelles valeurs, de ces nouvelles priorités, de ces nouveaux regards sur la vie.
Les perspectives corporatistes seraient remises en cause pour les éditeurs, les acteurs, les financiers, pour les marchands de chansons et les marchands de sable, mais aussi pour les marchands de missiles…
On découvrirait avec les royaumes intérieurs de la conscience évoluée que le vrai pouvoir vient donc d’ailleurs.
L’argent perdrait de son statut, et avec lui le Nasdaq et le CAC 40. Libérés d’un coup de leur soumission à l’autorité, les peuples s’émanciperaient aussitôt de leurs anciennes et désuètes tutelles.
Il est donc clair que cette perspective ne plaît pas aujourd’hui à tous ceux qui ont intérêt à maintenir le statu quo, celui d’un monde vue comme une machinerie, c'est-à-dire sans conscience, sans esprit.
La sixième raison qui pourrait justifier l’absence au cœur de notre civilisation de témoignages probants confirmant l’existence et l’activité des champs de superconscience serait que ceux-ci ne parviendraient pas jusqu’aux circuits de l’information, de la culture, et de l’éducation.
Ce type d’initiation à ces réalités intérieures resterait réservée à quelques-uns, parfois dans la quiétude d’un ermitage, parfois dans la vie apparemment simple d’une maison paisible, parfois dans le secret d’une chambre d’hôpital psychiatrique, parfois dans la créativité d’un solitaire chercheur.
Une présentation adaptée à chacune des personnalités serait faite de ces mondes à l’initiative de ces derniers.
Aucune des versions humaines ne coïnciderait parfaitement avec celle d’autres chercheurs.
La subjectivité teinterait chaque initiation à la réalité de ces mondes, rendant impossible l’accumulation et la communication d’une connaissance à leur sujet. De toutes façons seules seraient exposés des individualités suffisamment déconnectées de la machinerie sociale pour pouvoir s’ouvrir à cette expérience.
Cela n’aurait pas d’effet en retour notable sur le fonctionnement de la société. Elle continuerait de vrombir et de chauffer comme une locomotive lancée à toute vitesse, sans se soucier de ces quelques passagers rêveurs qui contemplent le paysage…
La septième explication est celle de mon ignorance, et c’est sans doute la plus satisfaisante. Pourquoi les hommes savent faire des avions supersoniques et des superordinateurs mais n’ont pas la moindre idée des relations subtiles que leur esprit pourrait entretenir avec d’autres formes de conscience ?
Je ne sais pas.
Et pourquoi l’homme est-il capable de prouesses en micro biologie cellulaire et ignore encore comment la première cellule vivante des océans primordiaux de la planète s’est divisée, et d’où vient l’information de la double hélice d’ADN ?
Ces paradoxes ne laissent pas de m’étonner et de m’intriguer…