31.1.07

Chapitre 13

intelligent design ?

Au coeur des champs de superconscience


XIII

Mémoire cénesthésique




Cette matinée est d’une exquise douceur. Le soleil filtrant, apaisé, à travers le ciel brumeux réchauffe la nature. A peine un souffle de brise, les rameaux ondoient au bout des branches, les arbres respirent.

Des cyclistes ayant des paniers sur leur porte-bagages passent sur le chemin. Des baguettes de pain frais enveloppées de papier y pointent le nez.

L’alchimie de la Saint jean qui approche opère : on célèbre enfin le beau « temps retrouvé. »

Evoquons un peu l’auteur du livre qui porte ce titre.

Le lecteur de Proust est généralement étonné du caractère vivant et évocateur des scènes de « La recherche ».

Ainsi dans « A l’ombre des jeunes filles en fleurs » on voit apparaître le décor de ce que les experts de la littérature proustienne supposent être le grand hôtel de Cabourg. Puis on est avec le narrateur sur la digue qui avance vers la mer. On va avec lui, pour la première fois, à la rencontre de la petite bande juvénile de ceux qui deviendront quelques semaines plus tard ses amis du temps des vacances à la mer. Ils avancent crânement parmi la foule des estivants.

« Une bande qui progressait le long de la digue comme une lumineuse comète. » (p.141, vol. II)

Parmi les jeunes promeneurs les exégètes ont cru reconnaître notamment le sourire de Marcel Plantevignes, ami de l’auteur, ainsi que les traits d’autres de ses connaissances de Cabourg. Mais ils apparaissent sous la plume du romancier comme autant de « jeunes filles ».

L’auteur écrit une chose, et le lecteur en perçoit une autre. Un jeu vertigineux se produit entre le mot et l’image.

Les phrases et les paragraphes composent progressivement une scène vivante qui finit par échapper à la stricte narration de l’auteur pour acquérir la liberté d’un moment autonome de vie de l’écriture.

L’auteur écrit « elles », et on découvre, surpris, au cœur de l’image diaphane apparaissant, qu’il veut dire « ils », comme dans cette description d’une des supposées jeunes filles :

« Son nez droit, sa peau brune mettaient en contraste au milieu des autres comme dans quelque tableau de la Renaissance, un roi Mage de type arabe. » (p.148, vol.II)

Faire imaginer au lecteur une jeune fille sous les traits d’un roi mage de type arabe, au nez droit et à la peau brune, relève de la gageure. Le texte feint ainsi de cacher et dissimuler ce que les images qu’il suscite révèlent et exposent si clairement à notre regard intérieur de lecteur.

« Une de ces inconnues poussait devant elle, de la main, sa bicyclette ; deux autres tenaient des clubs de golf […] » (p.148, vol.II)

Même l’un des éditeurs littéraires du texte dans la collection de la Pléiade s’émeut de ces personnages féminins paradoxaux, puisqu’il consacre à un autre des membres de la bande, particulièrement audacieux, une note en fin d’ouvrage qui feint à son tour d’être étonnée :

« Cet exploit sportif ne conviendrait-il pas mieux à un jeune garçon ? » (Note 1, de la page 150, vol. II)

Il faut dire que la « jeune fille » en question, qui semble au narrateur la plus âgée de la bande, avait fait ceci :

« […] Sans une hésitation l’aînée de la petite bande se mit à courir ; et elle sauta par-dessus le vieillard épouvanté, [un octogénaire] dont la casquette marine fut effleurée par les pieds agiles, au grand amusement des autres jeunes filles. […] « C’pauvre vieux, i m’fait d’la peine, il a l’air à moitié crevé », dit l’une de ces filles d’une voix rogommeuse et avec un accent à demi ironique. » (p.150, vol.II)

Ces « jeunes filles » représentées ici par Proust semblent avoir… un fort taux de testostérone !

C’est ainsi vraiment dans « l’ombre » des « jeunes filles en fleurs » que l’imagination du lecteur est invitée à laisser se déployer les images… Et qu’est-ce que l’ombre des « jeunes filles » sinon les jeunes hommes que fréquentait plus volontiers, mais plus discrètement aussi, l’auteur ?

Que trouvait-il à l’ombre, sous les fleurs de l’apparence, sinon les vertes frondaisons, la verte feuillaison d’amours cachées, de passions ombrageuses, bref, d’amitiés masculines que l’époque exigeait qu’elles restassent secrètes ?

L’imaginaire proustien est si convaincant qu’il nous invite dans sa réalité au rythme des immenses phrases de son auteur.

Peut-être vais-je aux yeux des admirateurs de Marcel Proust commettre un impair avec les paragraphes qui suivent.

En lisant les premiers volumes d’ « A la recherche » j’ai eu souvent la même impression. La voici : Un homme, fût-il un auteur très attentif et concentré, ne pouvait pas, par ses propres moyens biologiques, parvenir à une évocation si complexe, subtile, imaginative, qui est celle des tableaux animés de ses livres.

Cette merveille d’une magie littéraire opératoire, ces scènes qui émergent intactes de ce monde englouti, tout à la fois réel et imaginaire, sont au-delà des facultés strictement humaines de leur auteur.

Que les amateurs de littérature proustienne me pardonnent ce sacrilège, mais j’en suis venu à supposer que l’écrivain avait été assisté intérieurement, avait bénéficié dans son inspiration de l’intervention de dimensions supplémentaires.

Je pose ici la question : les mondes évolués de la superconscience auraient-ils guidé l’auteur et accompagné son ardent labeur d’écriture ?

Car les images qui s’élèvent à la lecture « Du côté de chez Swann » par exemple ont une fraîcheur et une qualité digne d’un film en technicolor et cinémascope.

C’est comme si les parfums, les couleurs et les ambiances avaient été transmis jusqu’au lecteur d’aujourd’hui sans perte, sans le moindre effacement.

Cette profondeur de l’espace des scènes décrites par Proust, la finesse de leurs détails, et la stabilité de leur apparition dans notre imagination ne sont-elles pas au-delà des facultés ordinaires ?

Je ne suis pas certain que cette puissance d’évocation littéraire vienne seulement d’un homme, d’une plume et de ses mots.

Y a-t-il eu médiation invisible dans d’autres dimensions de la conscience ? Quelque chose a-t-il guidé l’auteur asthmatique à sa table d’écriture ? Et ce quelque chose est-il conscience évoluée dotée de moyens subtils extraordinaires ?

Et parmi ces moyens, je pense justement à la possibilité de créer, fixer et stabiliser des images littéraires complexes qui puisse traverser le temps et resurgir chez le lecteur du XXIème siècle.

Il y a d’ailleurs dès le premier volume de la Recherche comme une allusion ou un clin d’œil à cette possibilité dans l’exposition méthodique de la mémoire cénesthésique que fait l’auteur en prenant comme exemple l’anecdote de la madeleine chez Tante Léonie.

La saveur du tilleul, ou celle du thé mêlée à la petite madeleine qui y est trempée agit comme un stimulus, ou plutôt comme un code d’accès, une clef de décryptage permettant de revivre l’entièreté d’un passé apparemment oublié.

Mon intuition est que cette mémoire qui restitue alors les moindres détails est dans sa grande perfection plus que de l’imaginaire littéraire.

On perçoit ses images avec un détail à couper le souffle. L’auteur peut zoomer sur d’infimes volumes et nous faire percevoir un grain de peau, l’éclat d’un regard, la qualité d’une expression. Il nous semble visionner de manière intérieure quelque excellent DVD blue ray, ces galettes haute définition lues par un rayon bleu.

Non seulement la haute définition d’un pinceau laser bleu est au rendez-vous. Mais encore la production du film imaginaire est aussi en tout point remarquable.

Le chef opérateur virtuel a bien fait les choses. La qualité de la mise en images, de la photographie est sans reproche. Une belle lumière nimbe et éclaire chaque chose et chaque silhouette vêtue de clair.

La profondeur de champ paraît quasi infinie, nous permettant une image nette des premiers plans aux personnages de fond de scène. L’image est panoramique, avec des travellings s’étendant sur le champ de vision large et haut des plus spectaculaires réalisations à la manière d’Hollywood. On part de la tasse et de la madeleine, et le champ de vision s’élargit et s’élève jusqu’à embrasser tout Combray et sa région d’un regard qui ne perd aucun détail des maisons, des habitants et des jardins.

Le film est en odorama. Son réalisateur nous faisant partager le parfum d’une haie d’aubépines, ainsi qu’en savourama, allant jusqu'à communier avec le lecteur-spectateur dans la sensation gustative d’une madeleine trempée dans une tasse de thé de Ceylan ou de tilleul.

La tâche de Proust était très incertaine, terriblement ambitieuse, puisqu’il se proposait de faire vivre ainsi des souvenirs d’enfance et de jeunesse, déjà éloignés de lui de dix ans, vingt ans ou davantage.

Chacun sent la difficulté qu’il y a à décrire une scène sans avoir pris de notes, ne serait-ce que quelques années plus tard.

Existe-t-il dans l’invisible ces guides de l’inspiration qui accompagnent la pensée de l’auteur, le burin du sculpteur, la brosse de l’aquarelliste et les doigts de Michel Polnareff ?

Si j’avais à oser une hypothèse, je dirais que des consciences, qui nous dépassent mais qui agissent aussi à l’intérieur de nous, et jusque dans notre corps et ses cellules rajoutent au talent. Elles préservent l’apprentissage acquis. Elles concentrent l’intensité de l’émotion ou du sentiment. Elles aiguisent l’attention et la soutiennent. Elles stabilisent et maintiennent l’inscription précise et hautement définie dans une mémoire.

Elles permettent que cette mémoire, élaborée et enrichie de l’imaginaire artistique puisse être disponible et intacte pour le lecteur ou le spectateur, beaucoup plus tard.

Nous avons bien les mémoires flash de nos clefs USB qui traînent dans nos poches.
Elles sont si petites désormais que parfois nous oublions de retirer l'une de ces clefs USB de la poche arrière de nos jeans lorsque nous passons ceux-ci à la machine à laver.
Qu'importe, une fois séchée la clef USB fonctionne de nouveau. Connectée à notre télévision black gloss à écran plat, ou à l'un des ports de nos ordinateurs en y étant simplement insérée, elle nous laisse retrouver sa moisson de trésors : musiques, vidéos, photos, textes, que nous y avons consignée.

Pourquoi d’autres plans évolués feraient-ils moins bien que nous ? Pourquoi seraient-ils moins capables de miniaturisation et de virtualisation que nous dans l'art de la mémoire ?
Nous, les humains, en sommes encore à des supports, comme la photo ou la vidéo, qui restituent une image aplatie de nos souvenirs.
Mais il est pensable que la technique de l'encryptage du souvenir intégral dans une seule sensation humaine soit connue par les champs de superconscience, avec
sa restitution en relief et avec ses cinq sens parfaitement préservés, trente ans, un siècle plus tard, lorsque la sensation qui a servi au cryptage est revécue, qu'elle libère le code et décompresse la mémoire en une expansion de la conscience. Bref, il est pensable que la quintessence de la science de la mémoire cénesthésique, puisse être familière des mondes de la superconscience.

Ces derniers aideraient l’artiste pour qu’il puisse évoquer, mémoriser, intégrer, progresser, mais aussi aideraient le public pour qu’il puisse également recevoir la création artistique en « haute définition » et vibrer à son tour.

Tout cela supposerait une science, un art, une méthode, une technologie invisibles de la part de ces consciences qui agissent en l’homme, bref, la mise en œuvre de l’Intelligent Design pour l’art aussi.

Autrefois on disait des artistes d’exception que les muses s’étaient penchées sur leur berceau.

Peut-être ce terme de muse renvoie-t-il également aux champs de conscience évoluée intervenant jusque dans notre monde.